En 2019, Nidhal Yahyaoui a façonné un univers berbère sonore via des compositions musicales nouvelles et recherchées. La musique «Chaoui» a conquis le public via les tournées de concerts effectuées pendant l’été. «Chaouia» fusionne plusieurs sonorités et en finit avec les frontières entre musique traditionnelle et moderne. Sur la scène de Carthage et de Hammamet, «Chaouia» a fait effet. Rencontre, entre deux concerts, avec ce musicien distingué. Dernière escale en date à «Ras Angela» dans le cadre du festival de la musique alternative à Bizerte.
Après le succès de Bargou08, tu as complètement changé de répertoire en te focalisant sur le patrimoine musical berbère. Peux-tu nous en dire plus sur la genèse de «Chaouia» ?
Il faut savoir que «Chaouia» est une région située à proximité de Bargou qui est riche, entre autres, de sa musique «Chaoui», populaire également sur les frontières algéro-tunisiennes. Les rythmes et les mélodies sont propres à la région, très spéciaux, typiques, et qui ne sont pas du tout arabes. Il s’agit de sonorités berbères. C’est la musique que j’ai rassemblée au fur et à mesure de mes déplacements dans les régions, de ma recherche. J’essayais de trouver un lien, je faisais des tests sonores. Au début, il y avait eu des sons qui penchaient plus vers «Tinariwen» et des groupes qui pratiquent un peu le même genre de musique, ensuite, après les résidences de création, on a plus viré vers le rock. Et ça a donné l’actuel «Chaouia». Globalement, ça s’est passé de cette manière.
Quelle est donc ta définition du berbère «Chaoui» pour toutes celles et ceux qui ne l’ont pas encore découvert ?
C’est du kabyle «Chaoui». Des kabyles qui possèdent leur propre patrimoine, leur musique spéciale, très écoutée dans les régions dont ils sont originaires. El «gasbah» et le «bandir» font partie intégrante de ce style. Ils vont de pair. Parfois, ce sont d’autres sonorités issues de régions montagneuses.
Pour ton spectacle à Hammamet, dans le cadre du festival international, tu t’es produit sur scène avec tout un groupe de musiciens : les frères Soltana, Mahdi El Bahri, etc. Est-ce qu’ils se sont adaptés rapidement à ce style, qui est quand même assez recherché ?
On collaborait déjà depuis plus d’un an et avons déjà travaillé ensemble sur trois résidences. Et moi, d’habitude, je fais des castings d’avance et je vois quels sont les musiciens qui peuvent enrichir le projet. Mahdi El Bahri, par exemple, quand je l’ai appelé, il s’est présenté avec son propre son, ses arrangements, etc. Pareil pour les frères Soltana, Falfoul… Chacun y ajoutait sa petite empreinte, notamment dans le cadre des résidences. On est au final parvenu à créer ce son nouveau. Et sur scène, on s’amuse ! Au début, c’était quand même difficile de s’adapter aux rythmes berbères et aux mélodies : des fois, la guitare ne va pas forcément de pair avec la «gasbah». Avec le temps, on prend conscience qu’on n’est pas là en tant que guitariste rock, qui joue du «Chaoui», mais on s’est demandé ce qu’on ferait si on était «Chaoui» munis d’une guitare; pareil pour la batterie ou un autre instrument. Au lieu du «bandir» et de la «gasbah». On a fini ensemble par faciliter le travail.
Sur quels critères tu choisis tes musiciens ?
Comme j’ai travaillé auparavant avec beaucoup de musiciens, j’en ai croisé de bons en Tunisie ! On a déjà collaboré tous ensemble. Au début, j’avais en tête une idée de sons, des mélodies, du projet, bien sûr. J’essaie de viser les plus professionnels d’entre eux, les plus ouverts aux nouvelles expériences, aux répertoires divers et les musiciens que j’ai choisis ont suivi le rythme et ont adopté le projet.
Est-ce que le projet «Chaouia» est une continuité au projet «Bargou» ou est-ce que c’est quelque chose de radicalement nouveau ?
Pour moi, ça n’a rien à voir. Bargou était de la musique électronique, ensuite, il y a eu l’expérience d’El Halfaouine qui m’a aidé à comprendre comment on crée un projet. «Chaouia» est une passion, un objectif qu’il fallait que je concrétise, né après une longue retraite. Musicalement, elle n’a rien à voir avec ce que j’ai déjà accompli, mais elle émanait de moi et va dans la continuité de mon développement, de mon évolution en tant qu’artiste.
Tes deux soirées à Carthage et à Hammamet ont été marquantes cet été. Comment se sont-elles passées ?
Carthage, c’était très rapide ! Je partageais la scène avec Zied Zouari et Lina Benali. La soirée était chargée. On a stressé mais dès les premières mélodies, le public a été très réceptif. Notre passage s’était au final très bien passée en 45 min. Pour Hammamet, c’était différent ! On a pris 1h20 sur scène, on a présenté l’intégralité de notre répertoire et on a même chanté d’autres morceaux, pour la plupart inédits. On était plus à l’aise.
Est-ce que tu as des projets futurs ou tu es plus focalisé sur «Chaouia» en ce moment ?
Pour l’instant, il y a les tournées ! Mais viendra, après, ce moment de répit où on aura envie de créer de nouveau, de produire. On prépare quelque chose de bien plus attractif qu’un concert : on voudrait cibler les régions intérieures, les villages, filmer de jeunes talents méconnus et les faire connaître en capsule vidéo. Un projet qu’on prépare pour 2020. Ce sont des initiatives que je prenais avant tout seul, mais que j’applique d’une manière plus officielle actuellement en faisant participer des musiciens de toute part, et en se déplaçant pour des sessions live dans ces villages.
As-tu des concerts prévus à l’étranger ?
Il y a des propositions. Peut-être à Paris pour prochainement, mais rien de concret.
Avec qui rêverais-tu de collaborer prochainement ?
Personne en particulier qui me vient en tête. Je préfère me focaliser sur les musiciens, partout dans le monde, qui ont du talent et qui peuvent m’enrichir. Je vise l’échange, le partage.